Energies négatives, antimatière et gravitation

 

En théorie relativiste, toutes les équations admettent des solutions d'énergies positives et négatives (+E et -E). C'est la conséquence immédiate de la relation bien connue entre masse, énergie et impulsion de la relativité restreinte

E2 = p2+m2

Très tôt, les physiciens ont essayé d'interpréter les solutions d'énergies négatives auxquelles rien d'observable ne semblait correspondre dans la nature. Dirac a ainsi soutenu l'idée que les énergies négatives remplissent un océan infini d'états, de telle sorte que seuls  les trous à la surface de cette mer d'énergie négative sont observables, apparaissant sous la forme de lacunes d'énergie négative qui se propagent donc avec une énergie positive et une charge inverse, propriétés qui cadraient bien avec celles des antiparticules découvertes par la suite. Cette image de la mer remplie n'est aujourd'hui plus retenue (cf Weinberg, Théorie Quantique des Champs vol 1) car:

1) Elle n'est pertinente que pour les particules de matière appelées fermions qui ne pouvant pas s'accumuler dans un même état, s'excluent les unes les autres de sorte qu'effectivement les états d'énergie négative peuvent être comblés, empêchant des particules d'énergie positive d'y tomber dangereusement. Pour d'autres particules appelées bosons,  ayant la propriété de ne pas s'exclure les unes les autres dans un même état, notamment les particules W- et les pions p-, cette mer qui ne saurait les empêcher de sombrer dans les états d'énergie négative ne peut jouer son rôle. Les antiparticules W+ et p+ ne peuvent donc pas être considérées comme des trous dans une mer d'états d'énergie négative.

2) L'image introduit une dissymétrie de traitement ad hoc et difficile à justifier entre solutions d'énergie positive et négative qui sont pourtant complètement équivalentes du point de vue de nos équations fondamentales.

La question donc demeure: ou sont passés les états d'énergie négative solutions des équations qui comme il faut le souligner ne sauraient être assimilés aux anti-particules qui ont certes des charges opposées mais des énergies toujours positives (leurs énergies  figurent toujours positivement dans les équations de conservation de l'énergie).

C'est le passage au quantique, plus précisément la seconde quantification des champs, qui semble résoudre le problème. En effet, désormais les objets fondamentaux solutions des équations ne sont plus des particules possédant une certaine énergie mais représentent l'opération qui consiste à  créer ou annihiler des particules. L'ex solution d'énergie positive +E (resp. négative -E) doit désormais augmenter de E (resp. diminuer de E) l'énergie d'un état préalablement donné.

Mais augmenter (resp. diminuer) l'énergie d'un état peut à priori se faire de deux façons:

1) En y créant (resp. annihilant) une particule d'énergie positive

2) En y annihilant (resp. créant) une particule d'énergie négative

L'adoption de 2) reviendrait à admettre l'existence de véritables particules d'énergie négative. On adopte donc les solutions de type 1) en Théorie Quantique des Champs et on exclue d'autorité celles de type 2). 

Bien qu'il semble que l'on ait ainsi définitivement résolu le problème des énergies négatives (l'ex solution d'énergie négative est désormais un annihilateur de particule d'énergie positive), il est en fait tout aussi injustifié de négliger la solution physique 2) qu'il l'était de négliger les solutions d'énergie négative avant la seconde quantification. Le problème devient encore plus incontournable si l'on réalise que l'inversion du temps pratiquée de façon la plus intuitive transforme une solution correspondant au choix 1) en une solution correspondant au choix 2) donc fait réapparaître les particules d'énergie négative que l'on voulait éviter. La théorie doit donc pour rester cohérente adopter une procédure très étrange pour l'inversion du temps : une transformation antiunitaire qui conjugue tous les nombres complexes laissant la combinaison iE des ondes planes invariante (iE  ==> -i.-E), l'inversion de l'imaginaire pur i compensant celle de E de sorte que l'on peut considérer que l'énergie ne s'inverse pas dans ce cas. Une autre conséquence de cette procédure est que désormais l'inversion du temps n'agit pas de façon foncièrement différente sur les propriétés observables d'une particule de la combinaison de transformations C.P qui inverse simultanément la charge et le caractère gaucher ou droitier d'une particule. Ce T anti-unitaire parait par conséquent presque redondant par rapport à CP, ce que traduit dans un langage plus technique le fameux théorème CPT...Nous constaterons que dans le cadre de la théorie DG, l'inversion du champ gravitationnel produit un effet similaire à la conjuguaison complexe ce qui nous permettra de réinterpréter le théorème CPT dans ce nouveau cadre.

Le point de départ de la théorie DG a été de prendre au sérieux la cohabitation des solutions d'énergie positive et négative correspondant respectivement aux choix 1) et 2) ainsi que l'inversion du temps unitaire qui les relie.

Une confusion assez répandue entretient l'idée que les anti-particules correspondent, même après seconde quantification, à une ré-interprétation des solutions à énergies négatives comme celle de la mer de Dirac. Pour dissiper ce malentendu, rappelons comment émergent les antiparticules dans le formalisme moderne. Il se trouve que la solution du type 1) peut certes mélanger sous la forme d'une superposition quantique la création et l'annihilation de particules d'énergies +E mais pour des raisons de cohérence interne (la charge du champ ne serait plus définie) ne peut mélanger en une superposition quantique la création et l'annihilation de particules de charge +Q. On doit au contraire superposer dans un champ la création de particules de charge +Q avec l'annihilation de particules de charge -Q avec Q=+/-1 correspondant aux deux champs complexe conjugués...mais alors il faut admettre l'existence pour chaque particule de charge +Q, d'une anti-particule de charge -Q. Les anti-particules sont donc inévitablement intégrées dans un choix  tel que 1) ou 2) mais pas les énergies négatives correspondant exclusivement au choix 2).

On peut certes, comme le proposa Feynman, considérer qu'une antiparticule qui descend normalement le cours du temps est impossible à distinguer du point de vue du bilan de la propagation d'une particule d'énergie négative remontant le cours du temps. En effet, si je créée dans le vide en un point x1 à l'instant t1 une particule d'énergie +E charge +Q et que un peu plus loin en x2 un peu plus tard en t2, la particule s'étant propagée, je l'annihile, tout se passe au niveau du bilan de transport de charge et d'énergie comme si une particule de charge -E, -Q créée en x2 à t2 avait remonté le temps jusqu'à x1 à t1 pour s'y annihiler. Mais...une énergie négative qui remonte le cours du temps de cette façon n'est pas la solution d'énergie négative à laquelle nous voulons donner du sens, qui descend bien sûr le cours du temps et correspond au cas 2) que nous n'avons aucune raison de négliger et qui reste à comprendre.

Antiparticules et gravitation de la RG

Si les anti-particules ont sans ambiguïté une énergie positive E=mc2, on peut imaginer qu'elles génèrent la gravité avec un signe moins: -mc2 mais en Relativité Générale c'est bien l'énergie (celle qui est conservée, qui apparaît dans le bilan de conservation  et dont on sait qu'elle est toujours positive) qui doit sourcer la gravité...il semble donc qu'il faille sortir de façon importante du cadre de la RG pour suivre cette piste. 

On peut aussi envisager que les antiparticules se comportent de façon inverse des particules plongées dans un champ gravitationnel, en tombant vers le haut...mais cette voie semble encore plus difficile à suivre dans le cadre de la RG ou le mouvement n'est régi que par les mêmes géodésiques (rails invisibles de la gravité) quels que soient les objets, même de masse nulle, qui les suivent.

Enfin, il y a une idée très séduisante et assez ancienne des physiciens Kaluza et Klein, idée que l'on n'a pas su faire fonctionner complètement à ce jour mais que beaucoup considèrent comme la voie privilégiée d'une compréhension unifiée de  la gravité et de l'électromagnétisme. Suivant celle-ci, l'inversion de la charge serait à comprendre comme l'effet de l'inversion d'une dimension supplémentaire de nos 3+1 habituelles.  Comme l'inversion de l'énergie va avec celle du temps, il n'est peut être pas très pertinent d'essayer de faire dépendre le concept d'inversion de la charge (lié à l'inversion de la dimension supplémentaire) de celui d'inversion de l'énergie (lié à l'inversion du temps).

Nous reviendrons ultérieurement sur ces questions dans le cadre de la théorie de la gravité obscure.

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